Pourquoi lutter contre les fake-news reste largement inefficace ?

Depuis l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, la prolifération de fausses informations a explosé. D’aucuns considèrent les fake-news comme une menace pour notre démocratie et de nombreux médias se sont efforcés à lutter contre le phénomène en reprenant régulièrement certaines fausses informations et en les confrontant à une vérification des faits permettant de révéler leur caractère fallacieux.

Le fact-checking, en Français la vérification des faits, se définit selon le Grand Dictionnaire Terminologique comme “une technique consistant d’une part à vérifier en temps instantané la véracité des faits et l’exactitude des chiffres présentés dans les médias par des personnalités politiques et des experts, d’autre part à évaluer le niveau d’objectivité des médias eux-mêmes dans leur traitement de l’information.” 

Il convient à ce titre de remarquer que l’évaluation du niveau d’objectivité est extrêmement aléatoire dans la mesure où elle dépend très largement des croyances et de la vision du monde de la personne qui se lance dans ladite vérification. De même, il est important de s’accorder sur ce qu’est une fausse information. Et c’est ici que les choses se compliquent. Car en effet, si la lutte contre les fausses informations se limite tout simplement à interdire la propagation d’informations factuellement fausses, il est très aisé pour les émetteurs desdites informations de poursuivre les mêmes fins par d’autres moyens et d’orienter les citoyens avec une information largement biaisée tout en se basant sur une information vraie. Dans ce contexte, le fact-checking, s’il a le mérite de permettre de déceler un mensonge grossier, rate assez clairement son objectif de lutter contre les fausses informations et ce principalement pour trois raisons.

I. Le fact-checking rate sa vraie cible

La première raison réside dans le fait que de plus en plus de citoyens se sont détournés des médias traditionnels pour se tourner vers des plateformes alternatives qui leur fournissent des informations avec un biais cognitif fidèle à leur propre vision du monde. Un exemple à ce titre est le média américain Breitbart, qui oscille entre fausses informations et informations fortement biaisées afin de cultiver les croyances les plus ancrées des électeurs de la droite conservatrice américaine. Par conséquent, la vérification des faits opérée par les médias traditionnels rate le plus souvent sa cible, puisque l’audience de certains médias alternatifs relayant des fausses informations n’est pas celle des médias traditionnels. Ainsi, la vérification des faits s’adresse le plus souvent à une population qui ne tombe pas sous l’emprise du biais cognitif dévoilé.  

II. Le problème avec la vérité et le spectre de la liberté d’expression

Pour faire face à la propagation des fake-news, le spectre de l’interdiction revient régulièrement sur la table des discussions. La France a même adopté une loi contre “la manipulation de l’information”. Peinant à être appliquée car se heurtant rapidement à la liberté d’expression, elle ne permet que de sanctionner à postériori des allégations “manifestement inexactes”, ce qui est facilement contournable en partant d’un fait avéré pour l’interpréter fidèlement à l’une ou l’autre idéologie politique.

Car déjà faudrait-il alors savoir où l’on met le curseur pour dire qu’une information est fausse. En effet, il existe des informations complètement faussées qui circulent sur les réseaux sociaux afin de manipuler les électeurs notamment lors de campagnes électorales, comme cela a été révélé par le scandale “Cambridge Analytica” qui aurait assez largement profité à la campagne de Trump lors de l’élection américaine de 2016. Ces cas de figure sont clairs (ce qui ne veut pas dire que leur interdiction est aisée) car reposant sur des faits purement fictifs.  Cependant, le plus souvent, les informations biaisées ne sont pas pour autant complètement dénuées de vérité. Celle-ci est simplement édulcorée pour servir une fin politique particulière.

A ce titre, à partir du moment où une information ne se base pas sur un fait totalement fictif mais que celle-ci est interprétée d’une façon qui peut déplaire à certains, elle reste, et fort heureusement, dans un Etat de droit qui mérite d’en porter le nom, protégée par la liberté d’expression. Gare aux idées liberticides qui voudraient interdire la publication d’informations soi-disant faussées, il s’agirait là de la consécration pure et simple d’une censure d’Etat qui ouvre la porte à tous les fantasmes totalitaires.

Il ne faut pas oublier non plus que de nombreux citoyens reprochent exactement ce biais d’information aux médias traditionnels, souvent accusés de relayer une “pensée unique”, ce qui explique aussi en grande partie leur détournement de ceux-ci.

Car soyons très clair à ce sujet: Le danger n’est pas tant d’être en proie à des informations biaisées, car toute information, subissant de facto un effort d’interprétation pour être transmise, est biaisée. Le vrai danger réside dans le fait d’être en proie à des informations qui sont systématiquement biaisées dans un même sens, réduisant par là même l’esprit d’ouverture des citoyens qui ne vont que s’auto-confirmer dans leur propre vision du monde. Et force est de constater qu’une réelle pluralité des opinions fait défaut dans la plupart des médias, traditionnels comme alternatifs, et encore plus sur les réseaux sociaux.

III. Le choix et l’attrait pour les informations : une question d’émotions et non de raison

La troisième raison de l’inefficacité de la vérification des faits consiste dans le fait que nos biais et notre vision du monde dépendent largement de notre état émotionnel interne. Et en fonction de cet état émotionnel, nous allons chercher les informations qui nous permettent de trouver une légitimité à ce que nous ressentons. C’est ainsi que si je suis en colère contre le gouvernement, je ne vais pas chercher des informations qui vont faire l’éloge de celui-ci mais plutôt son contraire afin de trouver une justification à mon émotion. En d’autres termes, l’attrait pour les informations diverses et variées qui se trouvent sur Internet ne font que s’appuyer sur l’état émotionnel interne des personnes qui les lisent.

Dans ce contexte, les fausses informations et les informations biaisées ne sont que les symptômes des émotions ressenties par ceux qui les lisent. Et cette lutte ne sera pas gagnée sur le terrain informationnel, en luttant contre la propagation de ces informations, mais en s’attaquant aux problématiques de fond qui suscitent ces émotions négatives auprès de nombreux citoyens.

Face à l’émotion, la raison seule ne s’impose pas. Cette dernière va même souvent être modelée afin de venir confirmer l’état émotionnel sur lequel elle s’appuie. Sous cette perspective, la lutte contre les fausses informations s’avère assez largement inefficace. Il conviendrait avant tout d’oeuvrer pour une plus grande diversité des opinions quant au traitement d’une information. Car au final, qu’est-ce que l’objectivité dans le traitement d’une information si ce n’est la confrontation de différents points de vue?

En réalité, l’objectivité ne se retrouve que dans le contradictoire émanant de la confrontation de différentes subjectivités. Ceux qui clament qu’il existerait un seul point de vue objectif essaient de simplement faire passer leur propre vérité, en la présentant comme irréfutable. Cette confrontation des différents points de vue est aussi ce qui est nécessaire afin de susciter des débats sociétaux qui permettent aux citoyens de se retrouver dans le traitement de l’information et d’être moins en proie de médias essayant de leur véhiculer une seule vision du monde. Car soyons très clairs à ce sujet: Le plus vous êtes convaincus d’avoir raison avec ce que vous pensez et ce que vous affirmez, le moins vous allez tolérer des points de vue qui divergent du votre. Nous bâtissons là les prémisses de la violence et d’une division de la société qui va crescendo avec des citoyens qui cohabitent sans plus savoir se parler. Il est grand temps de retrouver une plus réelle diversité d’opinions dans le traitement de l’information pour maintenir l’esprit de tolérance nécessaire au maintien de la paix. Car la menace du pire plane toujours. Au regard de notre histoire, nous sommes bien positionnés en Europe pour le savoir.

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