- © Gil Scott-Heron
Il n’a jamais été aussi simple de communiquer qu’aujourd’hui. En quelques secondes, il est possible d’entrer en contact avec presque n’importe qui se situant n’importe où dans le monde, pourvu que le locuteur et l’interlocuteur soient connectés à Internet ou disposent pour le moins d’une connexion téléphonique.
Selon l’Union Internationale des télécommunications, en 2005, 15% de la population mondiale avait accès à Internet contre 51 % en 2018 et ce chiffre n’arrêtera de croitre dans les années à venir.
Trois quarts des Internautes à travers le monde utilisent une ou plusieurs plateformes de communication, les « réseaux sociaux ». Parmi les plus jeunes, le taux est encore sensiblement plus élevé. Environ deux milliards de personnes à travers le monde utilisent Facebook et ses services (dont Whatsapp et Instagram). Plus d’un milliard de personnes utilisent le service de communication WeChat, principalement en Chine.
Ces quelques chiffres pour illustrer que l’homme n’a jamais autant communiqué qu’aujourd’hui. Mais est-ce réellement pour le meilleur ?
Si la technologie, dont la révolution Internet des années 1990 puis l’avènement de plateformes de chat puis des réseaux sociaux au début des années 2000 a démultiplié les possibilités de communication, elle l’a surtout fait sur deux volets : l’accroissement de la quantité des communications possibles et l’accroissement de l’instantanéité de nos manières de communication.
Cependant, un aspect, et certainement le plus essentiel, est resté très largement sous-développé : il s’agit de la qualité de nos communications. En effet, au-delà du fait que nous communiquons plus et plus vite à travers les outils numériques à notre disposition, la vraie question est celle de savoir si nous communiquons réellement mieux ?
La révolution technologique a fait une impasse totale sur la qualité de nos communications
Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, a développé son réseau social comme moyen pour lui d’entrer en contact avec des personnes qu’il n’aurait pas réussi à approcher au vu de sa personnalité introvertie et peu communicative. Il a usé de ses compétences technologiques afin de compenser son inaptitude à se connecter réellement aux autres. Aujourd’hui, nous pouvons mesurer à quel point son invention a eu un impact non seulement sur sa propre vie, mais aussi sur la manière et les habitudes de communication de plusieurs milliards de personnes à travers le monde. Cependant, n’aurait-on pas des efforts à faire dans notre manière de nous connecter aux autres, plutôt que de reproduire à l’échelle planétaire les moyens dérivés de communiquer d’un très mauvais communicateur à la base ?
Il est d’ailleurs symptomatique que c’est le même Marc Zuckerberg qui est un des plus grands adeptes de l’intelligence artificielle. Malgré la prouesse technologique et l’utilité incontestable de cette technologie dans le présent et certainement encore davantage à l’avenir, l’intelligence artificielle a un défaut majeur : l’absence de la composante humaine dans un monde qui en a plus que jamais besoin. Assumer de ressentir et d’exprimer ses ressentis tant positifs que négatifs et de pouvoir prendre des décisions pour nous-mêmes fait partie des choses qui font de nous ce que nous sommes : des êtres humains à part entière avec nos défauts et nos qualités. Se couper de cette composante en estimant que l’intelligence artificielle sait mieux que nous-mêmes ce qu’il nous faut ou ce qu’il ne nous faut pas est simplement une manière de nous détourner de ce que nous sommes pour se rattacher à une technologie dont il ne sera jamais souhaitable qu’elle puisse réfléchir ou décider à notre place, voire nous remplacer.
La prochaine révolution de la communication améliorera nos rapports aux autres et in fine aussi à nous mêmes
Force est de constater que nous vivons toujours plus où moins à la préhistoire quant à nos facultés de réellement communiquer, voire d’écouter. La capacité de communiquer et d’écouter n’est pas innée, c’est un apprentissage au même titre que le développement de facultés telles que les mathématiques, les sciences ou les langues.
Il existe aujourd’hui une certaine prise de conscience sur la nécessité de développer nos facultés de communication et d’écoute, notamment à travers des techniques existantes depuis plusieurs décennies comme la programmation neuro-linguistique (PNL), l’analyse transactionnelle (AT) ou encore la communication non-violente (CNV) reposant très largement sur le concept de l’empathie. Dans un monde où les risques psychosociaux se manifestent massivement dans le cadre tant privé comme professionnel, l’inculcation de valeurs permettant de promouvoir les compétences interpersonnelles de chacun apparait de plus en plus comme indispensable. Si aujourd’hui ces pratiques restent encore largement réservées à une minorité d’un certain âge souvent afin de mieux évoluer dans un cadre professionnel voire privé, ces compétences devront demain faire partie intégrante des cursus scolaires de nos enfants.
La prochaine réelle révolution dans notre manière de communiquer sera une mutation de fond relative au développement de la qualité de nos relations interpersonnelles et elle n’aura pas lieu sur Internet mais dans le contact humain du monde réel. Elle est absolument indispensable pour concevoir un monde meilleur permettant à la fois de prévenir les conflits et de pratiquer une bienveillance tant nécessaire, pour un monde meilleur composé d’être humains capables d’amorcer le changement vers un futur désirable.