La fin de l’ordre occidental oblige l’Europe à prendre son destin en main

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L’élection de Donald Trump signe aujourd’hui le début d’une nouvelle ère dans les relations entre l’Europe et les Etats-Unis et met un terme à l’ordre occidental construit par les Américains depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cet ordre avait d’abord été pensé pour faire face à un monde bipolaire dans lequel les Etats-Unis ont assumé leur leadership sur l’Occident afin de se protéger contre la propagation du communisme. Après l’effondrement de l’Union soviétique, il a évolué vers une hégémonie totale des Etats-Unis sur le monde jusqu’à la crise financière de 2007. Aujourd’hui, cet ordre semble définitivement compromis, suscitant des inquiétudes de part et d’autre mais ouvrant aussi de nouvelles opportunités, notamment pour l’Europe. 

L’avènement d’un ordre occidental fondé sur une vision bipolaire du monde

Dès la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont pris la décision d’une reconstruction massive de l’Europe afin de bâtir une alliance atlantique capable de défier et in fine de vaincre l’Union soviétique. Par conséquent, les autorités américaines ont massivement soutenu l’industrie allemande pour qu’elle devienne le moteur économique de la nouvelle Europe. La république fédérale allemande a été associée au plan Marshall dès 1948 et une remise de dette à hauteur de 62% lui a été concédée lors des accords de Londres de 1953. Parallèlement, les Etats-Unis ont incité leurs alliés européens à se doter d’un projet commun pour réconcilier l’Allemagne avec la France au sein d’une union économique plus large. C’était chose faite avec la signature du traité CECA en 1951 puis plus tard avec le traité de Rome et la création de la communauté économique en 1957.

Sur le plan extérieur, la signature du traité Atlantique-Nord (OTAN) en 1949 avait comme but d’assurer la sécurité de l’Europe de l’Ouest contre la menace soviétique et de doter les Etats-Unis d’une zone d’influence militaire aux frontières de l’Union soviétique.

Cette double alliance, commerciale avec la création de la CECA puis de la Communauté économique européenne et défensive à travers l’OTAN, a permis d’assurer un développement important aux pays européens tout en leur assurant une protection militaire contre les menaces étrangères. Les institutions internationales mises en place après 1945 ont aussi permis aux Etats-Unis d’asseoir leur position de force sur le monde occidental, que ce soit à travers l’ONU, le FMI, l’OMC ou encore la Banque mondiale. A ceci s’est ajouté l’hégémonie du dollar comme monnaie d’échange internationale donnant un avantage compétitif considérable aux entreprises américaines. Cependant, cet ordre, s’apparentant davantage à un équilibre dans le déséquilibre, sur lequel a été construit le monde occidental de l’après-guerre, a successivement été ébranlé par la survenance de plusieurs événement historiques.

Un ébranlement progressif de la confiance dans les valeurs occidentales

Tout d’abord, la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 a mis fin de facto à la division du monde en deux blocs. La chute de l’Union soviétique a laissé penser que les valeurs libérales, le capitalisme et la mondialisation étaient devenus l’horizon indépassable de l’humanité et qu’il n’y avait que la voie de la mondialisation, forcément heureuse, qui allait pouvoir amener le progrès économique et social. Cette utopie s’est toutefois heurtée aux dommages collatéraux engendrés par la politique occidentale depuis les années 1970 sur deux plans différents, l’un d’ordre économique, l’autre de l’ordre de la politique étrangère des Etats-Unis et de leurs alliés, qui ont progressivement remis en cause les bienfaits réels du modèle des valeurs américaines de libre-échange, de liberté et de démocratie.

De prime abord, sur le plan de la politique étrangère, les attaques terroristes du 11 septembre 2001 et les invasions successives de l’Afghanistan et surtout de l’Iraq ont démontré au monde entier les limites du bien-fondé de la politique extérieure américaine. En effet, de plus en plus de citoyens ont vu dans ces interventions plus un prétexte pour la préservation des intérêts stratégiques des Etats-Unis dans le monde qu’une volonté de protéger les valeurs de liberté et de démocratie.

Ensuite, sur le plan intérieur, la dérégulation financière de la présidence Reagan jusqu’à la présidence Bush s’est soldée par le plus désastreux krach boursier que les Etats-Unis et le monde ont connu depuis la grande dépression de 1929. La crise financière de 2007 n’a fait qu’amplifier le phénomène de l’explosion des inégalités patrimoniales, salariales et sociales et a mis en lumière les excès d’un modèle économique néolibéral qui profite à certains au détriment de tant d’autres.

Cet ébranlement de la confiance dans les valeurs libérales a crée un terreau fertile pour les discours nationalistes et protectionnistes sur le plan intérieur et isolationnistes sur le plan extérieur. La dominance américaine exercée sur le monde au cours de ce dernier demi-siècle a au fond donné l’impression à de nombreux citoyens américains que leurs responsables étaient davantage occupés à gérer les affaires du monde entier que de s’occuper des problèmes des Américains dont les conditions de vie n’ont cessées de se précariser au cours des quarante dernières années.

Désormais, la nouvelle administration à Washington, qui sera préjudiciable à la crédibilité des Etats-Unis et les affaiblira sans aucun doute sur la scène internationale, consacre définitivement l’avènement d’un monde multipolaire dans lequel de nouvelles perspectives de leadership s’ouvrent à la Chine, devenue incontournable sur le plan économique voire à la Russie, de plus en plus influente sur le plan diplomatique.

Quelles perspectives pour l’Europe ?

Pour l’Europe, cette nouvelle donne signifie avant tout qu’il faut prendre en main son propre destin. En ce sens, il convient de bien comprendre que si les Etats-Unis peuvent en quelque sorte se permettre la remise en cause de leurs alliances militaires et commerciales du fait qu’ils resteront une puissance mondiale de 320 millions d’habitants dotée de la force armée la plus puissante au monde, aucun pays d’Europe ne pourra prétendre à sa souveraineté, ni assurer sa propre défense dans ce nouveau monde qui se dessine s’il ne s’inscrit pas dans une alliance plus large au niveau européen.

Ce nouveau monde, plus incertain, multipolaire et instable, ouvre pourtant des opportunités aux pays européens. Le désengagement annoncé des Etats-Unis de l’OTAN obligera les Européens à penser leur défense commune et permettra à l’Europe de se doter d’une puissance souveraine qu’elle n’a jamais connue depuis sa création. L’Union européenne peut devenir une puissance majeure si elle réussit à se mettre d’accord sur ses intérêts politiques stratégiques. Avec ses 450 millions d’habitants (Grande-Bretagne exclue), elle dispose d’une force économique considérable pour peser sur les enjeux au niveau mondial et pour imposer et faire respecter ses choix économiques. Les atouts de son grand marché unique lui donnent d’ailleurs la possibilité de compenser sa dépendance énergétique et d’être un acteur important de la transition écologique.

Cependant, il faut que l’Union européenne soit capable d’avancer dans le bon sens et se dote avant tout d’une gouvernance permettant de débattre du rapport de force existant dans les instances de décision au niveau européen. L’Europe doit être capable de voir que nombreuses des politiques publiques menées depuis une vingtaine d’années et surtout depuis l’après-crise ont été préjudiciables à de nombreux pays membres, notamment d’Europe du Sud, et que l’orthodoxie budgétaire la plus rigide détruit l’avenir de toute une génération de jeunes européens dont le mépris et la colère ne laissent entrevoir autre chose que le pire pour les années à venir.

En ce sens, il faut lutter pour cette génération qu’on se résigne à désigner comme abandonnée ou perdue et lancer des plans d’investissement extrêmement ambitieux qui permettront une redistribution de la richesse vers les pays en difficulté et le plus touchés par le chômage de masse. Les bénéfices des pays excédentaires de la zone euro doivent être réinvestis dans les pays en difficulté et la banque centrale européenne doit être capable de mener une réelle politique de relance budgétaire cohérente et globale et non pas cantonnée à l’ajustement des taux directeurs afin de contenir l’inflation ou de lutter contre une déflation. Il faut enfin créer une union bancaire forte afin de mettre en place une garantie totale des dépôts des épargnants pour éviter la fuite des capitaux des pays en difficulté vers les pays excédentaires. Aussi il faut mettre en place le système des eurobonds (obligations européennes) pour mettre fin aux divergences de conditions d’emprunts des pays membres et qui aggravent la récession des pays déficitaires.

Les citoyens européens ont aujourd’hui besoin d’expériencer les bienfaits de l’Union européenne desquels on leur parle tant mais qu’ils ne ressentent pas eux-mêmes. L’Europe doit redonner espoir et penser le futur. En ce sens, elle doit investir dans l’innovation et les nouvelles technologies et développer une expertise dans ce domaine capable de concurrencer avec celle de la Silicon Valley aux Etats-Unis. L’Europe a perdu sa souveraineté numérique avec le marché des ordinateurs et des smartphones. Toutefois, l’avènement du monde des objets connectés peut lui permettre de rattraper son retard, sous condition de soutenir le développement de ces technologies sur le continent européen.

L’Europe dispose de tous les atouts pour réussir. Elle sera potentiellement capable de rayonner si elle admet une refonte de son cadre institutionnel et adopte une politique économique plus audacieuse et courageuse, tournée vers l’avenir. Elle sera vouée à l’échec si elle restera incapable de proposer une alternative crédible à la montée des nationalismes. En ce sens, l’Europe s’est déjà émancipée de l’emprise des Etats-Unis, c’est désormais elle seule qui décidera de son propre sort, pour le meilleur mais aussi pour le pire.

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