Quand je suis allé à l’école, ils m’ont demandé ce que je voulais être quand je serais grand. J’ai répondu heureux. Ils m’ont dit que je n’avais pas compris la question, j’ai répondu qu’ils n’avaient pas compris la vie. – John Lennon
A l’heure où l’acquisition de compétences se cantonne principalement à l’apprentissage d’un savoir-faire destiné à « apprendre un métier » et à nourrir le système économique, le savoir-vivre est trop souvent négligé. Pourtant, comment se fait-il que nous portons aussi peu d’importance dans l’éducation de nos enfants à développer leurs compétences humaines et à leur donner les réels outils et le goût à améliorer le monde dans lequel nous vivons?
Avant de répondre à cette interrogation et d’esquisser des pistes de solutions, il convient de revenir à l’essentiel et de définir ce que sont le savoir-vivre et le savoir-faire. En ce sens, le savoir-vivre concerne toutes les aptitudes qu’un être humain peut acquérir et qui ne relèvent pas stricto sensu de l’apprentissage d’un métier ou d’une compétence professionnalisante. Concrètement, il faut entendre par là notamment les loisirs, les vertus morales, la poursuite du bonheur ainsi que les croyances et la spiritualité. Le savoir-faire et le savoir-vivre ne sont pas antinomiques mais complémentaires. C’est bien cette complémentarité qui devrait nous amener à ne pas focaliser toute notre énergie dans le développement d’un savoir-faire au détriment d’un savoir-vivre.
C’est toutefois ce qui se constate dans l’éducation de nos enfants aujourd’hui. L’école apprend avant tout comment être utile à la société et non pas comment être utile à soi-même. Si l’on considère qu’exister est un fait mais que vivre est un art, force est de constater que l’école fait peu pour aider dans l’acquisition de cette compétence artistique. Cependant, ne serait-il pas opportun d’aider nos enfants à leur apprendre comment devenir heureux ? Il existe des astuces pour amplifier le bonheur, pourquoi ne pas les enseigner à l’école ?
D’aucuns considèrent que l’école n’est pas sensée s’occuper de tout et que le développement personnel relève du rôle des parents et devrait se faire dans un cadre privé. Cependant, ce n’est ni tenir compte de la promesse égalitaire selon laquelle tous les enfants doivent avoir la même chance de réussir peu importe leur contexte familial ni tenir compte du fait que l’école est un lieu de vie essentiel des élèves et qu’en ce sens elle doit s’attacher autant au développement des performances académiques qu’au développement des compétences personnelles de chacun.
De surcroît, les jeunes générations d’aujourd’hui se posent plus que jamais la question de leur utilité dans la société et aspirent à rendre le monde meilleur. Ces aspirations ne sont atteignables qu’en accordant une plus grande place dans l’éducation aux valeurs humanistes et spirituelles qui contribuent au bien-être de chacun.
Ceci est d’autant plus urgent aujourd’hui que l’enseignement des valeurs a largement disparu des cours dispensés aux plus jeunes générations. Autrefois, c’était le rôle de l’église d’imposer une morale aux croyants. L’enseignement des valeurs religieuses faisait partie de la vie de tout un chacun. Avec la libéralisation des mœurs et la régression corrélative du rôle de l’église dans la société, l’enseignement des valeurs morales s’est peu à peu effrité alors même que l’espace de liberté des individus s’est considérablement accru.
Le vide laissé par la régression du rôle de l’église dans notre société, l’effritement des valeurs morales et l’augmentation de la sphère de liberté nous a conduit à créer et à poursuivre nos idéaux à travers un spectre principalement mercantiliste. Dans le monde occidental, le consumérisme matérialiste s’est en grande partie substitué à la doctrine religieuse. Ainsi, la logique économique, le développement du consumérisme de masse et la publicité à large échelle ont poussé les individus dès le milieu du XXe siècle à toujours vouloir de nouvelles choses, à vivre dans l’instantanéité et dans la volonté de combler leurs désirs sans cesse stimulés. Là où la religion mettait hier en garde contre l’avarice, l’égoïsme, le narcissisme, l’impulsion et la gratitude instantanée, les réseaux sociaux exploitent aujourd’hui ces passions basses afin de cibler les individus en tant que consommateurs branchés.
L’idéal occidental du « rêve américain », selon lequel n’importe quelle personne peut par son travail, son courage et sa détermination, devenir prospère ou encore l’idée selon laquelle les enfants devraient avoir une « meilleure vie » que leurs parents, ne font que renforcer la prépondérance matérialiste dans la conception des idéaux contemporains. Cette idéologie consumériste veut nous persuader que notre bonheur viendra de l’accumulation des richesses matérielles. Si un minimum d’argent et de confort est utile, nous nous rendons trop peu compte que la quête matérielle est par nature insatiable et qu’elle nous rendra forcément malheureuse.
Les aspirations contemporaines, au-delà du fait d’être largement matérialisées, sont aussi intimement liées à la performance et à la réussite. L’accumulation de richesses est souvent proclamée comme un objectif, une fin en soi pour les générations futures à un moment où les inégalités dans le monde n’ont jamais été aussi criantes. Selon l’institut Oxfam, le 1% de la population mondiale le plus aisé possède 82% de la richesse mondiale. Les citoyens les plus riches développent des astuces de plus en plus ingénieuses pour échapper à l’impôt et pour éviter la redistribution sociale.
La conséquence de ce phénomène est un accroissement de la violence, de la misère et du désespoir à travers le monde. Dans ce contexte, ce n’est pas la richesse qui est condamnable, mais l’absence du partage. La solidarité et le partage, notions vertueuses aussi vieilles que l’humanité, sont aujourd’hui largement tombées aux oubliettes. Cependant, la tolérance, la solidarité et le partage sont des notions qui nécessitent d’être incarnées et de recevoir une application concrète à nos modes de vie du XXIe siècle.
L’institution aujourd’hui capable de les incarner est sans aucun doute l’école. Dans ce cadre, l’école doit assumer son rôle qui ne se cantonne pas simplement à faire des élèves de bons travailleurs utiles au système économique mais de développer leurs qualités humaines et interpersonnelles afin de leur permettre d’être acteurs pour bâtir une société plus juste et plus solidaire à l’avenir.
Connaître un bon métier n’est pas seulement source de richesses, mais aussi, et peut-être surtout, d’indépendance. Je crois que c’était déjà un credo du philosophe Spinoza qui à l’origine était polisseur de verres d’optique si je ne m’abuse.
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