Les imprécisions du débat sur l’ouverture du droit de vote aux résidents étrangers

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Dimanche prochain, le 7 juin 2015, les luxembourgeois seront appelés aux urnes pour se prononcer sur 3 questions posées par voie référendaire notamment sur la limitation des mandats ministériels à 10 ans consécutifs, l’ouverture facultative du droit de vote aux mineurs de plus de 16 ans et sur l’ouverture du droit de vote des résidents non-luxembourgeois sous condition de vivre pendant au moins 10 ans au Grand-Duché et d’avoir préalablement pris part soit à des élections municipales, soit européennes.

Une quantité considérable d’encre a déjà coulé au sujet des trois questions. Pour ma part, j’aimerai revenir de manière brève sur le débat et sur la pertinence de certains des arguments avancés quant à l’ouverture du droit de vote des résidents étrangers.

Il s’agit ici d’une question cruciale du fait qu’est en jeu un changement de paradigme quant à l’exercice de la souveraineté au Luxembourg, pour le moins en théorie. Si en pratique, un grand nombre de personnes visées par cette mesure s’inscriront réellement dans les listes électorales restera à voir. Le débat en ce sens a en tout cas été très insuffisant notamment du fait qu’on n’a pris en compte les conséquences à long terme de l’ouverture du droit de vote des étrangers.

Un déficit démocratique indiscutable

Le constat actuel est très clair. Le Luxembourg a un déficit démocratique et il faut donc tenter de contrecarrer à cette évolution en tant qu’actuellement, uniquement une petite majorité de la population vivant au Grand-Duché est capable de s’exprimer aux urnes lors des élections législatives. A mon sens, la question référendaire à ce sujet vient tout de même trop en amont, notamment du fait que le projet de loi sur la simplification de l’accès à la nationalité luxembourgeoise n’a toujours pas été à l’ordre du jour de la Chambre. Cependant, la simplification de l’accès à la nationalité doit être une priorité en ce sens, notamment du fait qu’il s’agit de la solution la plus stable et viable à long terme. Il faudrait d’abord inciter les résidents non-luxembourgeois à acquérir la nationalité luxembourgeoise, en raccourcissant le délai notamment de 7 à 5 ans et en adaptant les conditions d’acquisition automatique de la nationalité avant d’ouvrir passivement le droit de vote aux résidents non-luxembourgeois. Il faut savoir que le Luxembourg est champion d’Europe des naturalisations avant l’Irlande (environ 4700 en 2012) et connait un succès certain à cet égard. Une simplification dans la continuité de l’accès à la nationalité aurait de ce fait été une mesure plus sage à mon sens.

A contrario, octroyer progressivement des droits civiques aux résidents non-luxembourgeois, ce qui, sans constituer une raison exclusive de l’obtention de la nationalité, rend cette dernière de facto moins attractive, et renoncer de ce fait pour le moins en partie à l’incitation d’acquérir la nationalité luxembourgeoise aux résidents vivant au Grand-Duché depuis longue date, risquerait de diviser le pays et de susciter des tensions nationalistes en raison d’un sentiment d’abandon de la souveraineté ou de perte d’identité. Il ne s’agit pas de vouloir dessiner le diable au mur, ou d’être exagérément pessimiste, mais au regard de la croissance de la population non-luxembourgeoise par rapport à la population luxembourgeoise, il est important que le Luxembourg puisse rester une terre d’intégration facile tout en n’abandonnant pas le ressentiment d’appartenance commune à un pays que confère la nationalité.

D’ailleurs, au regard du succès certain des naturalisations par le passé, il n’est pas certain que dans le cadre d’une simplification de l’accès à la nationalité luxembourgeoise, à la fois quant à la forme et quant au fond, il ne serait pas possible de réduire substantiellement le déficit démocratique. Il est en effet, très malaisé d’apprécier combien de milliers de personnes supplémentaires opteraient pour l’obtention de la nationalité luxembourgeoise le cas échéant.

Dans une optique d’un accès plus large à la nationalité luxembourgeoise, il est important de préciser que l’adoption de la nationalité luxembourgeoise doit pouvoir s’effectuer dans le cadre du système de la double nationalité, pour ne pas imposer aux résidents non-luxembourgeois de devoir abandonner leur nationalité d’origine afin d’obtenir celle du Luxembourg. A ce sujet, au regard du fait qu’un certain nombre de pays, notamment aussi européens, ne reconnaissent pas le système de la double nationalité, une dérogation devrait être instituée au profit de ces nationaux pour qu’ils puissent exercer entièrement leurs droits civiques s’ils le souhaitent du fait qu’ils n’ont pas la possibilité d’adopter une seconde nationalité sans devoir abandonner la leur.

La subsistance inconditionnelle du lien entre « nationalité » et « démocratie »

Quoi qu’il en soit, ouvrir le droit de vote aux non-luxembourgeois sous condition de résider continuellement depuis 10 ans aux Luxembourg et de s’être inscrit préalablement sur les listes électorales pour les élections municipales ou européennes correspond à devoir redéfinir le lien entre la nationalité et le droit de vote aux élections législatives notamment au regard de l’article 32 de la Constitution qui dispose que « le pouvoir souverain réside dans la Nation » selon la conception classique de l’Etat-nation. De manière générale, la souveraineté se définit comme « le pouvoir reconnu à l’Etat, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est que limité par ses propres engagements ». (Dictionnaire Larousse)

La Nation quant à elle peut être définie comme un «ensemble de personnes vivant sur un territoire commun, conscient de son unité (historique, culturelle, etc.) et constituant une entité politique ». (Dictionnaire de la langue francaise)
Si la Nation n’est certainement pas un concept qui est condamné à être figé dans le temps, il n’est à mon avis pourtant pas possible de dissocier complètement à ce stade l’intégration culturelle, c’est-à-dire l’ensemble des éléments qui rapprochent un groupe de personnes à un autre par l’adoption de ses valeurs et de ses normes sociales, de l’adoption de la nationalité d’un pays. Si l’intégration ne peut en aucun de se réduire uniquement à l’adoption de la nationalité, il n’est pourtant pas non plus possible de dissocier complètement la seconde de la première en tant qu’elle en reste un signe important et permet de créer un sentiment d’appartenance commune nécessaire à toute communauté.

L’ouverture du droit de vote des étrangers permet probablement à court terme de résoudre, au moins partiellement, le problème du déficit démocratique. Cependant, sans chiffres à l’appui et avec des estimations extrêmement vagues, variant selon certaines sources entre 20.000 et 100.000 électeurs qui pourraient dans les 5 prochaines années profiter d’un tel droit de vote, aucune prévision concrète n’a pu à cet effet nourrir le débat. Il en résulte une absence de prise en compte des conséquences réelles pour l’exercice de la souveraineté au Luxembourg notamment sur le moyen et le long terme.

La question est cependant importante car il faut savoir comment définir l’exercice de la souveraineté le cas échéant. En élargissant le droit de vote aux résidents non-nationaux, la souveraineté résiderait non plus dans la Nation, composé de toutes les personnes ayant la nationalité luxembourgeoise, mais dans un nouveau corps électoral, une entité plus large qui serait alors composée de nationaux et de non-nationaux. Ce nouveau corps électoral ne serait plus uni par le lien de la nationalité, mais par une condition de résidence durable sur le territoire luxembourgeois et par la manifestation d’une volonté commune de participer à l’exercice démocratique. Cependant, au sein de ce corps électoral, subsisteront des différences entre électeurs qui seront toujours encore fondées sur la nationalité. En effet, les résidents luxembourgeois bénéficieraient d’un droit de vote et d’éligibilité alors que les résidents non-luxembourgeois ne bénéficieraient que d’un droit de vote. Il n’est donc pas tout à fait juste dans ces conditions de prétendre qu’il ne faudrait pas confondre nationalité et démocratie en les présentant comme deux choses diamétralement opposées du fait que ces deux notions seront même dans le cas de l’octroi d’un droit de vote aux non-luxembourgeois toujours encore liées.

La confusion de la nature des échéances électorales dans le débat politique

Il ne faut pas non plus confondre les échéances électorales. Il a beaucoup été mis en avant que les résidents non-luxembourgeois, plus précisément les citoyens européens, bénéficieraient déjà du droit de vote aux élections municipales et que l’extension de ce droit aurait aussi été largement contesté à l’époque de l’adoption de cette mesure à la suite du Traité de Maastricht du fait que certains opposants craignaient un abandon de la souveraineté nationale. Cependant, les élections municipales ne sont pas des élections qui impliquent l’exercice de la souveraineté du Luxembourg. Le maire, et par extension le conseil municipal, peuvent prendre des réglementations spécifiques s’appliquant sur le territoire de la commune mais non pas des mesures s’appliquant à l’ensemble du territoire luxembourgeois. L’extension du droit de vote aux citoyens européens et finalement aussi aux résidents provenant de pays tiers lors des élections municipales a donc été une mesure de bon sens permettant à ces personnes de participer à la démocratie locale de leur lieu de résidence principal qui n’implique pas l’exercice de la souveraineté sur le territoire national, qui est exercée par le Grand-Duc conformément à la Constitution et aux lois.

Il n’est en ce sens pas non plus possible de confondre les élections législatives avec les élections européennes. Les électeurs européens sont citoyens de l’Union européenne, c’est notamment cette citoyenneté qui leur permet d’exercer leur droit à la libre circulation sur l’ensemble du territoire de l’Union. Il s’agit d’une citoyenneté superposée à la citoyenneté nationale, en quelque sorte un second passeport intégré dans le premier, puisant sa légitimité dans la citoyenneté nationale d’un des Etats membres, qui permet de se déplacer librement dans « l’espace Schengen ». De ce fait, il s’impose que les citoyens européens puissent participer aux élections européennes et élire les membres du Parlement européen et ce droit ne se confond pas avec l’exercice de la souveraineté des Etats membres. L’argument visant à dire qu’un nombre déterminant des lois adoptées dans les Parlements nationaux proviennent de directives de l’Union européenne et ôteraient pour cette raison de toute façon la souveraineté nationale n’est pas non plus très exact.

En effet, les pays membres de l’Union acceptent de transférer une partie de leur souveraineté au profit des instances de l’Union européenne (principalement le Parlement en tant qu’organe législatif composé de membres élus et par extension de la Commission en tant qu’organe exécutif), mais cette souveraineté dont sont investis les organes de l’Union n’est en réalité que la somme des transferts de pouvoirs des Etats membres qui confère une légitimité aux instances européennes. De ce fait, un Etat reste toutefois souverain. Il s’agit d’une fiction juridique qui peut être illustrée à l’exemple de la Grèce qui décide souverainement de se soumettre ou non aux obligations qui lui sont soumises par l’Union européenne et la « Troika » avec comme conséquence une possible sortie de la République hellénique de la zone euro si elle ne se conforme pas à ces obligations. Sans vouloir reprendre un discours souverainiste, auquel je m’oppose en tant qu’européen convaincu, il est toutefois important de distinguer les différentes implications de l’exercice de la souveraineté selon les élections.

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L’utilisation dans le débat de termes inadaptés à la situation du Luxembourg

Une dernière distinction qui est abordée dans le débat sur le référendum est qui est dirigée à l’encontre des partisans du « non » à l’extension du droit de vote aux résidents étrangers consiste dans une prétendue confusion entre « intégration » et « assimilation ». Une telle affirmation n’est pas non plus exacte.

L’intégration comme précédemment vue se définit comme « le processus ethnologique qui permet à une personne ou à un groupe de personnes de se rapprocher et de devenir membre d’un autre groupe plus vaste par l’adoption de ses valeurs et des normes de son système social. L’intégration nécessite ainsi à la fois une volonté de s’insérer et de s’adapter, de même qu’une capacité intégratrice de la société par le respect des différences et des particularités de l’individu ». (Définition Dictionnaire La Toupie)
L’intégration ne fonctionne donc que par l’acceptation et le respect des différences et des particularités des individus, selon la devise de « l’unité dans la diversité ».

Au contraire, l’assimilation pour sa part tend à faire disparaître toute spécificité culturelle.
L’assimilation culturelle se traduit par exemple par l’offre de plats uniques dans les cantines scolaires, en ne donnant de ce fait pas la possibilité, selon les plats, aux enfants de confession musulmane ou juive de pouvoir vivre leurs différences culturelles avec les enfants athées ou de confession catholique. Elle correspondrait à ce que les luxembourgeois exigeraient des résidents non-luxembourgeois qu’ils abandonnent leurs spécificités culturelles pour se conformer aux valeurs et à la culture luxembourgeoise, ce qui constitue un non-sens car il n’y a pas de culture luxembourgeoise mais des cultures qui coexistent dans un pays qui est par nature multiculturel et qui notamment pour cette raison sert de modèle en Europe et à travers le monde. Le fait d’exiger des résidents non-luxembourgeois qu’ils doivent adopter la nationalité luxembourgeoise, avec la possibilité de profiter du système de la double nationalité pour participer aux élections législatives ne relève donc pas de l’assimilation, mais d’une position qui confère une certaine importance aux droits afférents à la nationalité et plus précisément à l’exercice du droit de vote et d’éligibilité. Le concept de l’assimilation n’a de ce fait, et heureusement, pas sa place dans le débat politique actuel.

En réalité, la position du « oui » se défend tout aussi bien que la position du « non » et toutes les personnes appelées à se prononcer lors du référendum devront prendre en leur propre conscience la décision qui s’impose à leurs yeux. Il est toutefois important de ne pas tomber dans la simplicité en réduisant le débat politique à ceux qui sont favorables et ceux qui sont défavorables à l’intégration des résidents étrangers. La démocratie, qui se traduit aussi par la tenue d’un débat politique digne et respectueux, en sortirait sans doute gagnante.

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